Au coin du Feu - Chapitre 1
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Chapitre 1
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Byakuya Kuchiki poussa la porte de son appartement d'un geste las et absent. Ayant refermé la porte derrière lui, il s'y adossa pour pousser un soupir éreinté. Les yeux fermés et une main sur son visage pour l'aider à décompresser, il profitait du silence qui l'entourait. Sa fatigue gagna un cran supplémentaire lorsqu'il s'aperçut, en regardant sa montre, qu'il était déjà plus de vingt heures.
Voilà maintenant près de trois semaines que ses journées étaient chargées de la sorte. La fin de l'année approchait à grands pas et tous les comptes devaient être bouclés avant le 31 décembre. Or, il lui semblait bien qu'il était le seul parmi les employés de la section comptable de son entreprise à avoir une vraie conscience professionnelle. Ses autres collègues ne s'embarrassaient pas d'heures supplémentaires et s'en allaient une fois leur quota atteint.
Il s'était souvent dit qu'il devrait faire comme eux, ignorer cette petite voix qui martelait son cerveau et qui lui disait qu'il devait toujours être le meilleur dans ce qu'il entreprenait. Il pourrait lui aussi, s'il le voulait, s'en aller à heures fixes et laisser les dossiers en retard pour le lendemain. Mais comme toujours, cette vicieuse petite voix lui disait qu'en laissant des dossiers le soir-même, il en aurait encore plus le lendemain et son retard ne ferait que s'agrandir au fil du temps.
Ce qui le désolait encore plus, était qu'il n'était pas le seul à en pâtir. Si encore il n'y avait que lui, il prendrait sur lui et accomplirait sans rechigner ses journées de onze ou douze heures de travail. Mais voilà, il n'était pas seul. Et il avait beau se sentir aimé et compris, il ne pouvait s'empêcher de penser que la personne qu'il aimait plus que tout au monde souffrait de ses retards à répétition.
D'ailleurs, quand on parle du loup... Il venait à peine d'enlever ses chaussures et s'apprêtait à suspendre son manteau à un cintre que les pas de l'être aimé s'étaient fait entendre dans le couloir. Il se dépêcha de suspendre le crochet du cintre sur le pendant de l'armoire pour se retourner, un large sourire sur les lèvres pour dissimuler sa fatigue.
« Okaeri, Byakuya ! »
L'ébène se pencha en avant pour accueillir les lèvres qui se tendaient vers lui et prit un instant pour s'abreuver de son odeur.
« Tu vas bien, Ichigo ? »
L'orangé avait acquiescé d'un hochement de tête, peu enclin à s'engager dans une conversation qui finirait certainement en cul de sac. Il y était habitué, il partageait la vie de Kuchiki depuis plusieurs années, mais tous les ans, il ne pouvait s'empêcher d'appréhender les fêtes de fin d'année.
Cette période qui ne devait être que joie et moments passés ensemble était pour lui un véritable calvaire. Ils ne pouvaient jamais partir en vacances entre Noël et Nouvel An, ils ne pouvaient pas profiter de longues soirées devant la cheminée ou confortablement installés dans le canapé devant des films jusque très tard dans la nuit. Et quand il rentrait à la maison le soir, il savait qu'il devrait encore attendre son amant pendant plusieurs heures.
Le temps lui semblait long, de plus en plus au fil des semaines qui passaient, il lui semblait de moins en moins pouvoir se passer de l'homme qu'il aimait et comptait les minutes qui les séparaient du premier janvier, date à laquelle commençaient les vacances de l'ébène.
« Je t'ai attendu pour dîner. »
Byakuya passa alors un doigt sous le menton de son homme pour l'obliger à le regarder dans les yeux, puis dégagea une mèche rebelle rousse de son front dans un geste tendre.
« Tu n'étais pas obligé, tu sais très bien que je ne t'en aurais pas voulu.
- Oui, mais... Tu sais... Comme ça on peut passer un peu plus de temps ensemble. »
A ces mots, la gorge de Kuchiki se noua légèrement et pour faire taire cette angoisse qu'il sentait clairement dans le ton de la voix d'Ichigo, il noua ses bras autour de sa taille et le serra fort contre lui pour une étreinte qu'il voulait réconfortante.
« Je sais, mon beau, je sais. Je ne pourrai jamais te répéter à quel point je suis désolé. Mais j'ai une bonne nouvelle pour toi. »
L'orangé leva alors vers lui des yeux plein d'espoir et lui fit un petit sourire timide pour lui montrer qu'il attendait impatiemment cette fameuse nouvelle.
« Ah oui ?
- Oui. Nous avons eu une réunion ce matin. Aizen a très bien vu que nous avions de plus en plus de mal à nous en sortir alors il a embauché une personne supplémentaire pour nous prêter main forte. Mon nouveau collègue commencera la semaine prochaine. Alors, je ne peux pas te promettre que je rentrerai forcément à l'heure, mais au moins, à partir de lundi, je rentrerai nettement plus tôt. »
Le sourire de Kurosaki s'était agrandi au fur et à mesure des mots de son aimé. Et il avait à peine terminé sa dernière phrase qu'il s'était jeté sur ses lèvres pour un baiser passionné. Bien sûr, ce n'était pas à la hauteur de ses plus folles espérances, mais c'était définitivement mieux que rien et la perspective de voir son amant plus longtemps tous les soirs le ravissait.
Leur douce étreinte fut cependant interrompue par le grognement mécontent de l'estomac de l'un d'entre eux. Lequel ? Ils n'auraient su le dire, mais les deux étaient partis dans un petit ricanement avant qu'Ichigo ne prenne Byakuya par le bras pour l'entraîner dans la salle à manger.
L'ébène se retrouva alors devant une belle table dressée et un plat fumant et divinement odorant entouré de chandelles et accompagné d'une bonne bouteille de vin. En sourdine, un doux air qui émanait du poste de radio ne faisait que rajouter à l'ambiance extrêmement romantique que le roux s'était efforcé de créer.
Byakuya se prit à penser qu'il n'aurait pas pu être plus chanceux en amour. Non seulement son compagnon ne lui tenait pas rigueur pour ses retards à répétition mais en plus il s'efforçait toujours de lui rendre agréable le peu de temps qu'il passait avec lui.
Le repas se fit en silence. Ils n'avaient pas besoin de parler, leurs regards l'un pour l'autre en disaient suffisamment long pour les contenter. Kuchiki savoura chaque bouchée qu'il avalait, se laissant aller dans sa chaise, profitant simplement de l'ambiance tamisée et de la mélodie en fond sonore.
Une fois les assiettes vides, Ichigo s'attela à débarrasser la table et une fois la cuisine en ordre, il retrouva son homme, toujours installé à la même place, le regard perdu dans le vide. Il s'approcha doucement de lui pour ne pas perturber ses pensées et ce n'est que lorsqu'il put poser une main sur son épaule qu'il se décida à interrompre la rêverie de Byakuya.
« Que dirais-tu d'un dessert ? »
Les yeux bleu nuit se fondirent immédiatement dans le regard brun et pétillant de l'orangé. Rien qu'avec ses orbes, le rouquin était capable de transmettre toutes les envies qu'il pouvait avoir. Kuchiki se déplaça alors un peu sur sa chaise pour glisser une main derrière le cou de son amant et lui caresser la nuque avant de lui donner un tendre baiser.
« J'aimerais passer dans la salle de bains avant de continuer la soirée. Garde-moi des douceurs au chaud, j'en profiterai tout à l'heure.
- Compte sur moi. »
L'orangé avait accompagné ses mots d'un clin d’œil et c'est avec un large sourire qu'il observa la silhouette de Byakuya s'avancer dans le couloir avant de disparaître derrière la porte de la salle de bains.
Kurosaki s'empressa alors d'éteindre la radio et de souffler sur les bougies, laissant le salon dans l'obscurité, et gagna leur chambre dans laquelle il s'efforça de créer la même ambiance romantique. De nouvelles bougies furent allumées, un bâtonnet d'encens également, laissant s'échapper de doux effluves de patchouli. Il laissa cependant les couvertures du lit tirées, se disant qu'il pourrait attendre son amant nonchalamment allongé sur le matelas.
Il s'était donc débarrassé de ses vêtements, ne gardant sur lui que son boxer et se laissa mollement tomber sur la literie moelleuse qui, une fois de plus ce soir, serait témoin de l'amour qu'ils pouvaient se porter.
Dans la salle d'eau, l'ébène s'était fait couler un bain pour éradiquer les dernières traces de stress de son organisme. Pouvoir être couvert de toutes ces petites attentions alors qu'il avait passé une très mauvaise journée lui avait presque fait oublier que le lendemain serait à nouveau un clavaire.
Sans compter la promesse que son amant lui avait faite à demi-mots, laissant entrevoir bon nombre de frissons, de soupirs et d'extase. Il se laissa glisser entièrement dans la baignoire pour détendre tous ses muscles et en ressortit la tête une minute plus tard, ses poumons réclamant de l'air. Se laissant totalement aller, il ne s'était même pas rendu compte que le sommeil le gagnait.
Ce n'est que lorsque l'orangé commença à ressentir les premiers frissons dus au manque de chaleur sur son corps, qu'il se décida à aller voir ce qui pouvait bien prendre autant de temps à son compagnon.
C'est ainsi qu'en ouvrant la porte de la salle de bain, il avait retrouvé Byakuya, allongé dans la baignoire, l'eau délicieusement chaude lui servant de couverture. Ses yeux étaient fermés et sa respiration profonde et régulière témoignait de son assoupissement.
Ichigo prit quelques moments pour se poser contre le chambranle de la porte pour admirer la vue qui s'offrait à ses yeux. Cet homme alangui dans la baignoire, il l'aimait. Et il aimait tout de lui. Ses longs cheveux d'un profond noir d'ébène qui s'illuminaient au moindre rayon de soleil, les yeux bleu nuit cachés derrière les paupières closes, les lèvres fines et si douces à chaque fois qu'il l'embrassait, le torse imberbe et finement musclé, le ventre plat sur lequel on distinguait ses abdominaux, il s'arrêta pourtant à ce moment-là, sachant pertinemment que s'il continuait sa contemplation, il se perdrait dans des pensées très peu catholiques.
Sans compter que le physique n'était pas le seul atout de Kuchiki Byakuya. Sa noble famille lui avait inculqué une force de caractère à toute épreuve. Mais derrière son esprit strict et carré se cachait un homme doux et attentionné. Oh bien sûr, il lui avait fallu du temps pour en apprécier toutes les valeurs mais il avait vite compris que l'ébène ne faisait pas dans la demi-mesure. Et pouvoir être aimé d'une personne aussi entière était une chance incomparable.
L'orangé ferma les yeux et poussa un léger soupir. Le seul petit bémol qu'il pourrait évoquer en ce moment était leur manque d'intimité. A cause du rythme inhumain de ses journées, Byakuya n'était plus aussi présent que Kurosaki l'aurait souhaité. Voilà quelques temps maintenant qu'il n'avait plus pu profiter de ce corps tellement tentant.
Il en arrivait même à maudire Aizen Sosuke, le supérieur hiérarchique de Byakuya au sein de Gotei, l'entreprise dans laquelle son amant travaillait. Sa pingrerie et son obstination à vouloir économiser le moindre centime poussait ses employés à se tuer à la tâche. Du moins Kuchiki se tuait-il à la tâche et c'est le rouquin qui en faisait les frais.
Il lui arrivait parfois de se demander à quoi pouvait bien ressembler ce tortionnaire. Il faut dire que son compagnon n'était pas du genre à mêler vie privée et vie professionnelle, aussi, il n'avait jamais eu l'occasion de rencontrer ses collègues. Parfois, quand il partait dans ses petits délires personnels, il s'amusait à l'imaginer petit, gros, avec les jambes arquées et une pustule sur le bout du nez. En tout cas, cela aurait collé avec son envie de lui dire ses quatre vérités quant au stress qu'il mettait sur les épaules de ses subordonnés.
Lentement, l'orangé s'avança vers la baignoire et, le plus délicatement possible, il souleva Byakuya dans de lents et tendres mouvements. Il s'appliqua du plus qu'il pouvait à ne pas faire de gestes brusques qui auraient pu le réveiller.
La peau pâle qui sortait à peine de l'eau ruisselait maintenant sur son corps et il se félicita de ne pas s'être rhabillé avant de venir voir ce qu'il se passait dans cette pièce.
Une fois dans la chambre, il fit son possible pour le sécher du mieux qu'il pouvait à l'aide d'une serviette avant de faire glisser le corps endormi dans le lit. Il fut cependant surpris que pas une seule fois Byakuya n'eut bronché dans son sommeil, même en étant ainsi transporté. Il devait vraiment être éreinté.
N'ayant plus rien d'autre à faire, Kurosaki se résigna à éteindre les bougies et le bâton d'encens avant de s'enfermer lui-même dans la salle de bain. Il se glissa dans la cabine de douche et se laissa aller sous le jet d'eau chaude.
Mais bientôt, il fut obligé de faire baisser la température de l'eau. Tout ce temps passé à seulement se croiser en fin de journée l'avait frustré à un très haut point. Il avait pensé qu'enfin ce soir, il pourrait se libérer de cette tension, mais la tentative avait avorté, ne faisant que lui rappeler qu'il avait une envie dingue de son homme.
Constatant que tous les icebergs de l'antarctique ne suffiraient pas à faire baisser sa température corporelle, Ichigo se résigna. Sa main, occupée jusqu'alors à frictionner ses cheveux pour en rincer la mousse du shampoing, glissa lentement dans son cou puis sur son ventre avant de terminer sa course sur son sexe qui s'était impitoyablement dressé au souvenir de Byakuya allongé dans son bain.
Sa poigne se resserra fortement sur sa longueur et il poussa un soupir étouffé au premier mouvement de poignet. S'accrochant à la paroi de la douche pour ne pas perdre l'équilibre, il s'imaginait la langue de Kuchiki à la place de ses doigts.
Les yeux fermés, il se voyait très clairement sous le jet d'eau, debout au milieu de la douche, les mains perdues dans la longue chevelure noire de son amant, à genoux devant lui, sa bouche allant et venant dans de douces caresses sur sa verge.
Alors Kurosaki raffermit un peu plus sa poigne et intensifia ses gestes. Le visage crispé à cause des vagues incessantes de plaisir, il se mettait à haleter de plus en plus fort. Son pouce effleura la veine proéminente de son sexe, juste en dessous du gland, et dans un grognement, il laissa échapper sa jouissance qui alla se perdre directement dans le siphon de la douche.
Il resta encore quelques minutes sous le jet d'eau afin de se remettre les idées en place. Une demi-heure après qu'il ait couché Kuchiki, il le rejoignait au lit après un dernier baiser sur son front. Il mit un certain temps à s'endormir, perdu dans la pensée qu'il avait espéré mieux pour cette soirée.
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Le lundi matin suivant, comme à son habitude, Byakuya franchit la porte de son bureau à 7h30. Il était le premier arrivé, comme toujours. Les deux autres occupants de la pièce, Abarai Renji et Madarame Ikkaku, ne se présenteraient qu'environ une demi-heure plus tard.
L'ébène alluma son ordinateur et profita de ses dernières minutes de tranquillité. Il savait très bien que dès que les deux autres entreraient, c'en serait fini du silence qu'il affectionnait tant. Pas que ses collègues soient de mauvais bougres, ils faisaient très bien leur travail, mais trouvaient toujours un sujet de conversation sur lequel, évidemment, ils ne seraient pas d'accord, et le tout se transformait immanquablement en un brouhaha insupportable auquel l'ébène devait mettre un terme en frappant du poing sur la table.
Installé derrière son écran, il se rappela que c'était aujourd'hui que leur nouveau collègue allait les rejoindre et un petit sourire se dessina sur les lèvres de Kuchiki. Ce soir, enfin, il pourrait profiter d'une soirée digne de ce nom avec son amant. Il n'y avait rien de tel pour lui rendre sa bonne humeur.
Cependant, ses collègues se rappelèrent à sa mémoire très rapidement quand, à 7h58 très précises, des éclats de voix se firent entendre dans le couloir.
« T'imagines, et si c'était un fou furieux du genre Mayuri ?
- Eeekk !! Arrête, non ! Moi je verrai bien une belle petite blonde. Avec les gros nichons qui vont avec, ça va de soi.
- Dans tes rêves, Ikkaku, ouais ! Le monde est trop injuste pour qu'il y ait deux Matsumoto. Tu vas voir qu'on va se récolter un Urahara bis.
- Mais pourquoi faut toujours que tu vois le mauvais côté de la médaille toi ? T'es déprimant ma parole ! »
Les deux comparses entrèrent alors dans le bureau, un grand sourire pour l'un et une mine dépitée pour l'autre, tenant tous deux le premier gobelet de café de la matinée.
« Yo Kuchiki ! Ça va ? Bon week-end ? »
L'ébène se contenta de grommeler quelque chose de totalement incompréhensible en priant pour qu'ils veuillent bien se la fermer afin qu'il puisse se concentrer sur ce qu'il faisait. Immanquablement, à force de se faire perturber dans son travail, il perdait les comptes et devait recommencer ses calculs depuis le début. Il se demandait bien comment faisaient les deux autres pour ne jamais perdre le fil malgré leurs éternelles conversations.
Kuchiki ferma les yeux quelques secondes pour reprendre contenance afin de pouvoir reprendre son travail. Ayant compris que le noble n'était pas vraiment d'humeur à être dérangé dans l'immédiat, Abarai et Madarame allumèrent leur ordinateur en silence tout en s'envoyant des regards accompagnés de grimaces, comme s'ils essayaient de mimer la suite de leur conversation avortée.
Depuis le temps, ils connaissaient le phénomène Kuchiki. Ils savaient très bien quand ils pouvaient s'en donner à cœur joie et quand ils devaient stopper leurs simagrées. Pendant un temps, au tout début de leur collaboration, ils avaient souvent essayé de l'entraîner dans leurs débats houleux ou leurs crises de fou-rire mais avaient bien été obligés d'abandonner l'idée, le noble ne répondant jamais à leurs sollicitations.
Ça leur était arrivé de discuter entre eux de cet homme qui ressemblait plus à un robot qu'à un être humain. Ils s'étaient souvent demandé ce qu'un type comme lui pouvait faire de son temps libre, qu'est-ce qui pouvait bien l'intéresser ? Avait-il quelqu'un dans sa vie et si oui quel genre de personne cela pourrait être ? À cette question, Ikkaku avait rétorqué sèchement qu'il ne pouvait qu'être célibataire et si ce n'était pas le cas, cette personne ne tarderait certainement pas à plier bagages ou carrément se jeter par la fenêtre en désespoir de cause, puis avait rit grassement à sa propre plaisanterie douteuse.
À neuf heures passées de trois minutes seulement, la porte de leur bureau s'ouvrit après qu'on y ait frappé trois petits coups. Sans attendre de réponse, leur patron s'était avancé dans la pièce avec, sur ses talons, celui qui viendrait partager leur espace de travail.
Et pour la première fois de sa vie, Byakuya sembla perdre tout contrôle de lui-même, pendant un instant qui ne dura que quelques secondes, mais qui lui sembla durer plusieurs heures. Jamais un seul regard ne lui avait procuré tant de frissons. Et le problème était bien là, il ne pouvait pas déterminer la provenance de cette chair de poule.
Étaient-ce les yeux de cet homme, d'un bleu azur, presque turquoise, ou simplement le regard qu'il lui lançait ? Le nouveau semblait vouloir lui transmettre un message au travers de ses yeux mais il n'arrivait pas à le déchiffrer, il ne savait pas ce qu'il voulait dire. Il y avait ce mélange pétillant de malice, une grosse pincée d'orgueil et... Peut-être un soupçon de désir ?
Ou alors s'agissait-il de son allure générale ? Cette façon un peu négligée de porter son costume qui lui donnait l'air de poser pour une couverture de magasine de mode, le tout magnifié par une crinière indomptable de la même couleur que ses yeux.
Cependant, l'atmosphère plutôt lourde qui régnait maintenant dans le bureau l'avait vite rappelé à la réalité. Aizen Sosuke avait ce don, quand il pénétrait quelque part, de frigorifier tout l'espace à une dizaine de mètres à la ronde. Ce n'était pas tant du respect qu'il inspirait à ses semblables mais plutôt de la crainte. Dans toute l'entreprise, il avait une réputation d'homme froid, strict et les représailles qui attendaient celui qui avait fauté étaient en général douloureuses et humiliantes.
Le tout ajouté au ton sec et sans vie qu'il employait quand il s'adressait à ses subordonnés donnait l'image du patron froid et désagréable auquel personne n'a envie de se frotter.
« Je vous présente Grimmjow Jaggerjack qui vient rejoindre le service comptabilité à partir d'aujourd'hui. »
Les deux autres sourirent en adressant un signe de tête au nouveau. Quant à Byakuya qui avait repris ses esprits, il se contenta d'un hochement de tête avant de retourner à son travail. Le bleuté, lui, surpris par l'ambiance plutôt froide qui régnait dans le bureau, se gratta l'arrière du crâne en lançant un vague « salut » à peine audible.
« Kuchiki, vous vous occuperez de sa formation. »
L'ébène n'avait pas eu le temps de répondre, ni même de lever les yeux vers son patron que celui-ci était déjà ressorti de la pièce en refermant le bureau. Dans la seconde qui suivit, Jaggerjack put constater que l'ambiance s'était immédiatement réchauffée. Des sourires apparaissaient sur les visages de deux de ses nouveaux collègues. Quant au troisième, celui qu'il mettrait bien au fond de son lit, il restait devant son écran sans se soucier de ce qui était en train de se passer.
Par contre, vu la vitesse à laquelle le chef était sorti, il ne savait pas vraiment vers qui se diriger pour sa formation et restait debout au milieu du bureau sans savoir exactement quoi faire. Le type aux cheveux rouges lui fit alors un signe de tête.
« Yo, Grimmjow ! Moi c'est Abarai Renji. Mais appelle-moi direct par mon prénom, les formalités je m'en tape complètement. Et le chauve là c'est Madarame Ikkaku.
- Je suis pas chauve !
- Ah ouais ? Ben dis-donc, si t'es pas chauve, c'est rudement bien imité. »
Renji partit dans un grand rire tonitruant en dévisageant Ikkaku d'un air ahuri. Apparemment, vu la remarque que venait de faire le bleuté, il allait bien s'entendre avec lui. Il allait bien s'entendre avec les deux. Par contre, pour Kuchiki, rien n'était moins sûr. Mais peut-être qu'avec un membre de plus dans l'équipe des joyeux lurons de la comptabilité, le noble se verrait en position de faiblesse et finirait par céder.
Après un clin d’œil à l'attention d'Abarai, le nouveau se dirigea vers le bureau vide qui se trouvait près de la fenêtre en supposant qu'il s'agissait du sien. Il alluma la tour centrale de l'ordinateur en pestant déjà silencieusement contre ce matériel informatique semblant dater de la préhistoire.
Alors que la machine était en train de se charger, il jeta un regard vers celui qui ne lui avait pas encore adressé la parole, celui ressemblait à une gravure de mode, celui qui attirait directement le regard quand il pénétrait quelque part.
Quand Aizen avait ouvert la porte et qu'il était entré dans la pièce, Grimmjow avait, l'espace d'un instant, capté le regard bleu nuit qu'il lui avait lancé. Heureusement que cet homme n'avait pas insisté et était directement retourné à son travail, sinon il y aurait eu de fortes chances que le bleuté se noie dans ces prunelles.
Il avait rarement vu quelqu'un d'aussi beau, et malgré le fait qu'il soit un dragueur invétéré, aucun de ses anciens amants ne lui arrivaient à la cheville. A part peut-être son premier et seul amour, mais dans un genre totalement différent.
Voyant que cet homme n'était apparemment pas disposé à faire attention à lui, Jaggerjack se décida à se rappeler à son bon souvenir. À ce qu'il avait cru comprendre après que les deux autres se soient présentés, cette charmante créature serait son formateur. Il se rapprocha donc de lui d'un pas félin sans que l'autre ne s'en rende compte et une fois derrière son siège, il se pencha vers l'oreille de l'ébène.
« Si j'ai bien compris, c'est toi Kuchiki. J'ai hâte que tu t'occupes de moi... Pour me montrer le boulot. »
Byakuya fut partagé entre les petits frissons qui couraient le long de sa nuque en sentant le souffle chaud près de son oreille et son aversion pour la pseudo tentative de séduction dont il venait d'être la victime. D'un geste dédaigneux de la main, il lui désigna son poste.
« Retournez à votre place et ouvrez le réseau clients, je viendrai vous voir quand j'aurai terminé mon dossier. »
Glacial. Finalement, cela serait peut-être un peu plus difficile pour le bleuté d'arriver à ses fins avec celui-là. Mais si ce type pensait qu'il allait abandonner à cause d'un simple petit refus de ce genre, c'était mal connaître Grimmjow Jaggerjack et sa légendaire persévérance.
Il lança un sourire carnassier en direction de ses deux autres collègues qui avaient suivi toute la scène et qui le regardaient d'un air ahuri qui semblait vouloir lui dire qu'il était totalement cinglé de s'adresser à l'ébène de cette façon.
Grimmjow se réinstalla alors devant son écran d'ordinateur et fit ce qu'on lui avait demandé. Le lecteur réseau des clients ouvert, il n'avait plus qu'à attendre que son formateur daigne bien vouloir s'occuper de lui. Mais apparemment, son travail lui prenait plus de temps que prévu, vu qu'il était déjà assis depuis plus de cinq minutes et que l'autre n'avait pas encore quitté des yeux le dossier dans lequel il était plongé.
Désabusé, il fit passer le temps comme il le pouvait et s'amusait à faire des tours sur lui-même sur sa chaise tout en admirant le paysage qui s'offrait à sa vue à chaque fois qu'il passait devant la grande baie vitrée.
C'est au beau milieu de son jeu, digne d'un enfant de trois ans, que Byakuya le retrouva. L'ébène se racla la gorge pour signifier sa présence, ce qui fit immédiatement sursauter le bleuté et les deux autres de ricaner comme deux gosses se moquant de leur petit copain qui venait de se faire prendre en flagrant délit d'insubordination.
Hilarité qui fut bien vite coupée lorsque, d'un geste dédaigneux, Kuchiki laissa tomber quelques dossiers sur le bureau de Jaggerjack. Le rouge et le chauve se remirent bien vite à leur activité première, se promettant silencieusement de tenter de ne plus échauffer leur glacial collègue pour le restant de la journée.
« Bien. Si vous êtes enfin disposé à bien vouloir me prêter attention, nous allons pouvoir commencer votre formation.
- Ah mais je suis tout à fait disposé à te prêter attention. Et même plus encore si l'envie t'en prend. D'ailleurs, tu pourrais commencer par me tutoyer, ça aiderait à briser la glace.
- Je ne vous connais pas et nous ne sommes que de simples collègues. Je vous prierai donc de bien vouloir garder vos paroles de séducteur en manque pour quelqu'un d'autre que moi. »
Glacial ? Grimmjow était en train de revoir son jugement, cet homme n'était pas simplement froid au premier abord, il était la représentation humaine de toute la banquise de cette fichue planète. Il inspira une longue goulée d'air et tourna son regard vers les papiers que l'ébène avait jeté sur son espace de travail quelques instants plus tôt.
« Bien. Ici nous analysons les comptabilités de certaines des plus grosses entreprises de ce pays, nous prenons en compte leurs bénéfices et leurs pertes afin de pouvoir les aiguiller sur certains investissements ou les guidons dans leurs cotations en bourse. Jusque là vous suivez ?
- Cinq sur cinq, boss ! »
Byakuya leva les yeux au ciel en soupirant à la remarque accompagnée d'un clin d’œil qui se voulait complice. Puis il reprit ses explications en ouvrant l'une des pochettes qu'il avait amenées avec lui.
« Jusqu'à présent, nous nous sommes réparti le travail en trois par régions. Maintenant que nous sommes quatre, nous allons modifier ce système, Madarame s'occupera du Nord, Abarai de l'Ouest, je m'occuperai du Sud et nous vous laissons l'Est. L'étagère qui se trouve derrière vous contient tous les dossiers dont vous aurez la charge. Alors voilà, dans chaque pochette, vous trouverez en première page un descriptif de l'entreprise, un organigramme précis de la hiérarchie ainsi que sa situation financière. Il est très important de tenir tout cela à jour régulièrement pour ne pas avoir à passer pour un imbécile lorsque vous serez en contact téléphonique avec le client. Plus loin, vous avez le relevé des opérations effectuées depuis les cinq dernières années. Les années précédentes sont archivées. En toute logique, vous n'aurez aucun besoin de les consulter, toutefois, une exception peut survenir et dans ce cas, vous pourrez trouver la clé des archives dans la petite boîte murale qui se trouve près de la porte d'entrée. Les archives de notre service se trouvent au sixième étage et sont gérées par un homme du nom de Rikichi qui, si besoin est, vous expliquera leur fonctionnement et... Vous m'écoutez ? »
Grimmjow avait décroché de la longue tirade après l'explication du contenu de chaque dossier et se contentait à présent de lorgner le profil délicat de son interlocuteur. Sa voix grave et sombre ne faisait qu'ajouter à son charme et à sa beauté naturelle et il était déjà en train de rêver à ce son harmonieux alors qu'ils se retrouveraient ensemble dans le même lit.
« Si vous avez fini de me détailler sous toutes les coutures, nous pourrons nous concentrer sur le traitement informatique des opérations financières.
- À tes ordres, beauté. »
S'il avait été doté de manières plus familières, Byakuya aurait volontiers envoyé une claque sur l'arrière du crâne de cet individu de plus en plus méprisable au fil des minutes qui passaient. Il sentait qu'avec celui-là il aurait certainement du fil à retordre, et bien que les apparences pussent être trompeuses, la patience n'était pas sa première vertu.
Il essaya donc tant bien que mal de faire abstraction de la dernière remarque de Jaggerjack pour expliquer les différents traitements qu'il aurait à accomplir par ordinateur.
« Une dernière chose. Notre réputation ici nous précède, je ne saurai que vous conseiller de ne pas vous entretenir avec vos interlocuteurs sur le même ton que vous employez avec moi. Je vous laisse vous débrouiller, si le moindre détail vous pose problème, si le moindre doute vous traverse l'esprit, venez me trouver. Je ne supporterai pas d'être accusé d'avoir failli à ma tâche de formateur à cause d'une erreur. »
Kuchiki retourna à sa place et se remit au travail. Cependant, il se rendit bien vite compte qu'il ne réussissait pas à boucler ses traitements aussi rapidement qu'à l'ordinaire. Son esprit était bien trop occupé à se concentrer sur les yeux bleus azur qui l'avaient regardé plus tôt. Sans s'en rendre réellement compte, son subconscient était tourné vers le nouveau, vers ses manières trop familières, ses paroles à double sens, ses sourires un peu trop rieurs pour être vraiment honnêtes et surtout cette manière qu'il avait de le regarder qui lui disait qu'il en ferait bien son quatre heures, tartiné sur une tranche de pain beurré.
Et plus son cerveau lui envoyait ce genre d'informations, moins il arrivait à mettre un nom sur le sentiment qui l'envahissait. Du dégoût ? De la répulsion ? De l'attirance ? De l'envie ? Il s'agissait certainement d'un mélange de tout cela, mais il était incapable de dire ce qu'il en était réellement.
Midi sonna bien vite et Renji et Ikkaku ne se firent pas prier pour soupirer de soulagement tout en verrouillant leurs sessions de travail et en invitant leur nouveau collègue à les accompagner pour la pause déjeuner.
Ce n'est qu'une fois dans l'ascenseur que Grimmjow posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis qu'ils étaient sortis du bureau.
« Et Kuchiki alors ? Il mange pas avec vous ?
- Byakuya ? On a laissé tomber depuis longtemps, il est jamais venu manger avec nous. Il reste dans le bureau quand on part à midi et il est déjà là quand on revient. C'est à se demander s'il se nourrit.
- Byakuya ? C'est pas mal. J'aime bien. »
Abarai et le chauve se regardèrent du coin de l’œil suite à la pensée que Jaggerjack avait énoncée à voix haute avant que Madarame ne poursuive la conversation.
« Tiens d'ailleurs, c'est quoi ce numéro que tu lui as servi tout à l'heure ? Si c'est juste pour te foutre de sa gueule, s'il-te-plaît, arrête tout de suite, parce qu'au final ça va nous retomber dessus. L'ambiance est déjà assez morne comme ça, pas besoin de baisser encore le thermostat.
- Vous allez pas me dire que vous avez jamais essayé de le décoincer ?
- Si, on a essayé. Pendant deux jours. Quand on a compris que ça servait à rien et qu'au contraire il nous plombait encore plus le moral, on a décidé de rester entre nous et de le laisser dans son coin.
- C'est con. J'aurais bien aimé le connaître un peu plus. Je suis sûr qu'il doit être surprenant quand on le connaît. Et je mettrais ma main à couper que c'est une véritable bête au pieu.
- Sérieux ? Alors t'as vraiment envie de te le faire ?
- Désolé si ça vous choque les gars, mais oui, je suis ce genre de mec qui aime s'en faire un autre. »
Nouveau sourire de la part de Renji et Ikkaku, rassurant celui-là, qui soulagea le bleuté en lui confirmant que sa sexualité était le cadet de leurs soucis.
« Alors comme ça vous pouvez pas me dire ce qui le branche ? Pas même un tout petit tuyau qui pourrait me rancarder sur ce que je peux faire pour l'emmêler dans mes filets ?
- Oh non, désolé. On ne sait rien de lui à part que c'est une bête de travail toujours à la recherche de la perfection. On sait pas s'il a quelqu'un dans sa vie, on sait pas non plus s'il préfère les bites ou les nichons. Va falloir que tu fasses ton enquête tout seul, vieux. »
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Effectivement, comme Madarame et Abarai le lui avaient dit, quand ils repassèrent la porte de leur bureau, l'ébène était installé devant son ordinateur et était déjà occupé à pianoter sur son clavier à la vitesse de la lumière. Était-il seulement sorti de cette pièce ?
Jaggerjack ouvrit un nouveau dossier et en commença la lecture. D'abord, prendre connaissance de l'entreprise qu'il allait analyser, se familiariser avec les différents noms des personnes qui y travaillaient et surtout de ses futurs interlocuteurs. Puis consulter les dernières opérations, vérifier que tout concorde.
Et après plus de cinq minutes à se creuser la cervelle et à revoir chaque feuillet un à un, force était de constater que quelque chose n'allait pas. Ou alors c'est qu'il avait loupé un détail important. Qu'à cela ne tienne, Kuchiki lui avait bien signalé qu'il devait venir le voir au moindre doute, il n'allait pas passer à côté de cette invitation.
Plongé dans son travail, le noble ne le remarqua que lorsque celui-ci se trouva une nouvelle fois dans son dos, tout près, trop près, de ses épaules, le souffle chargé d'une haleine caféinée courant sur sa peau.
« Byakuya, il y a quelque chose qui cloche avec ce client. »
Le ton était doux et mielleux, dans une nouvelle tentative de séduction. Il lança un regard réprobateur aux deux autres, sachant pertinemment qu'ils étaient ceux qui avaient révélé son prénom au bleuté. Mais au-delà de cette information qu'il aurait aimé garder un peu plus longtemps pour lui, c'était la façon dont Grimmjow avait prononcé son prénom qui l'avait le plus troublé.
Il se retourna vers son nouveau collègue avec un grognement d'insatisfaction et était bien déterminé à lui rappeler qu'ils n'avaient qu'une simple relation professionnelle, mais son geste fut interrompu par un sursaut vers l'arrière en se rendant compte de la proximité qu'il y avait entre eux. Pour un peu, leurs nez se seraient touchés.
Passé l'effet de surprise, il fit un geste dans le but de se relever et de raccompagner le bleuté à son bureau pour prendre connaissance de ce qui le tracassait mais celui-ci l'en empêcha en posant une main chaude sur son épaule.
« J'ai ramené le dossier avec moi, on peut voir ça à ton poste. »
Ne tenant pas compte du regard meurtrier de son formateur en réponse à son sourire aguicheur, il déposa la pochette sur le bureau de Kuchiki et en sortit les feuillets concernés par son questionnement. Il se plaça ensuite complètement derrière le fauteuil de Byakuya afin de pouvoir se rapprocher un peu plus de lui pour pouvoir regarder par-dessus son épaule.
Ce qui créa forcément un contact entre eux lorsque le bleuté se pencha vers l'avant pour indiquer les deux colonnes de chiffres qui lui posaient problème. Contact renforcé par celui de leurs doigts, Jaggerjack prenant bien soin de le coller à la main qui tenait les papiers.
« Regarde, si on prend en compte les estimations des entrées et des sorties de cette année, la différence avec les années précédentes est beaucoup trop forte pour que ce soit correct. Je ne sais pas si c'est nous ou eux qui ont fait une erreur dans les calculs et les déclarations, mais comme tu m'as dit de venir te voir au moindre soucis, j'ai préféré t'en faire part avant de les appeler. »
L'ébène dut faire un énorme effort de maîtrise de soi pour ne pas au choix, se laisser aller à la colère qui semblait l'envahir de seconde en seconde, ou se laisser fondre dans sa chaise sous le ton suave et chaud qui sonnait encore dans ses oreilles.
Cependant, la rage était la plus forte. La rage de se laisser avoir par ce genre de bassesses. Il savait pertinemment que son collègue ne cherchait qu'à le déstabiliser, aussi ne se laisserait-il pas séduire par ses méthodes trop clichées.
Il se ressaisit rapidement et mit fin à toute cette nouvelle mascarade en refermant la pochette d'un geste sec et en la posant dans sa propre pile de dossiers.
« En effet, vous avez bien fait de venir me voir. Je regarderai cela de plus près quand j'en aurai fini avec mon client actuel. Vous pouvez retourner à votre place. »
Le reste de la journée se passa sans autre heurt digne d'être signalé. Jaggerjack resta sagement dans son coin en se joignant de temps en temps aux diverses conversations de Renji et Ikkaku. Kuchiki put enfin travailler tranquillement et à sa grande surprise, il avançait à un rythme plus que correct malgré les échappées de son cerveaux qui se tournaient immanquablement vers le bleuté.
A dix-sept heures, ses trois collègues quittèrent leur poste, le laissant seul dans le bureau. Il put donc terminer son travail dans le calme et la sérénité.
C'est en éteignant son ordinateur qu'il se rendit compte qu'il n'était que dix-huit heures. Dix-huit heures et il avait déjà terminé sa journée de travail ! Bon bien sûr, il avait fait une heure supplémentaire, mais c'était déjà beaucoup plus raisonnable que ce qu'il avait pu faire ces dernières semaines.
Un large sourire se dessina sur son visage quand il enfila son manteau en pensant à la tête d'Ichigo quand il le verrait rentrer aussi tôt. Nul doute que son compagnon serait le plus heureux des hommes ce soir.
En sortant du grand building, il s'arrêta un instant pour respirer une grande bouffée de l'air froid de décembre. Kuchiki se sentait bien et détendu. Quand la température extérieure se rappela à lui en lui mordant les joues, il enfonça ses mains dans ses poches pour se mettre en route. Il n'avait pas vu, quelques pas derrière lui, le nouveau qui était resté dans les parages pour guetter sa sortie et qui maintenant le regardait intensément.
A grandes enjambées, Grimmjow se retrouva à hauteur de l'ébène et le fit sursauter en lui adressant la parole.
« Alors comme ça t'es un adepte des heures supp' ?
- Jaggerjack ! Alors maintenant vous me suivez ? Prenez garde que je n'interprète pas ceci comme du harcèlement, cela pourrait vous coûter cher. »
Le bleuté leva ses bras devant lui en un signe d'innocence qui sonnait totalement faux, son légendaire sourire accroché aux lèvres.
« Relax ! J'ai dû faire quelques courses dans le quartier, je viens à peine de finir et j'allais rentrer chez moi. Mais si tu veux je peux perdre encore quelques heures et on peut aller prendre un verre. »
Kuchiki le regarda de haut en bas dédaigneusement, essayant de lui faire comprendre qu'il n'était absolument pas intéressé et qu'il n'était pas du tout son type. Ce qui en soi était faux, mais l'ébène était bon acteur.
« Non merci. J'ai d'autres projets pour ce soir.
- Quelque chose de plus intéressant que de passer du temps avec moi ?
- Bien plus, en effet. »
Byakuya allait faire demi-tour quand la main froide, à cause de la température glaciale, de Jaggerjack se posa furtivement sur sa joue en une caresse presque imperceptible.
« Tu diras plus ça quand tu me connaîtras.
- Au-revoir, Jaggerjack.
- Bonne soirée... Byakuya. »
Il avait prononcé son prénom de cette façon si indécente, celle qui ferait bouillir le sang de n'importe quelle personne qui aurait pu l'entendre. Le noble fit l'effort de faire taire les fourmis qui commençaient à se manifester dans ses orteils et qui menaçaient d'engourdir tout son corps s'il continuait à faire résonner cette voix dans son cerveau, en tournant les talons et en s'éloignant de cette source de conflit intérieur.
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À suivre...